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Prématurité : quelle place pour l'allaitement ?

L'article qui suit à été rédigé par mes soins à la demande de Laure & Gaël, fondateurs de Petit mais Costaud pour le blog de leur site.



Elle le découvre tout juste, ce tout petit bébé perdu dans sa couveuse, à peine visible tant il est caché par le lange, le cocon, les nombreux câbles, les différentes sondes et cette buée sur la paroi de la couveuse.

Elle ne souhaite qu’une seule chose mais le redoute tout autant…

Le voir…

Se rendre compte par elle-même…


Autour d’elle, on s’agite, on parle beaucoup.

Elle entend le papa poser quelques questions à une soignante qui s’est présentée tout à l’heure en les accueillant mais elle ne se souvient plus ni de son prénom, ni de qui elle est. Tout à l’heure, elle ne pensait qu’à l’instant où elle allait voir son bébé et ça lui tordait le ventre d’angoisse.

Elle écoute sans vraiment entendre ce qu’ils se disent.

Elle se répète en boucle « je suis maman, je suis maman » mais elle a du mal à y croire.

Elle essaie de se convaincre mais c’est tellement éloigné de ce qu’elle s’apprêtait et qu’elle imaginait vivre dans 3 mois…

Elle essaie de faire taire cette petite voix intérieure qui lui murmure « tu commences bien comme maman, tu n’as pas réussi à la garder au chaud jusqu’au bout » et même si on lui a bien expliqué que ce n’est pas de sa faute, qu’il n’y avait pas le choix, que c’était la seule solution et surtout la meilleure pour eux deux, elle sent les larmes envahir ses yeux et encore plus troubler la vision qu’elle a de ce minuscule bébé.


« Vous souhaitez allaiter madame ? Parce que ça serait bien pour lui, on a besoin de votre lait. Vous avez commencé à tirer ? »


Elle bredouille, elle ne comprend pas bien.

Allaiter ? Mais comment ? Il ne respire déjà pas tout seul !

On nous dit qu’il faut attendre chaque nouvelle journée pour savoir comment se présente la suivante et on me parle d’allaiter ?

Et puis c’est trop tôt, jamais je n’aurai de lait à ce terme…


Et un poids supplémentaire s’abat brusquement sur ses épaules : ne vraiment pas être capable de faire ce qu’il faut pour ce bébé qui vient d’arriver.



Et si on commençait par poser la question différemment ?


De façon générale, l’allaitement est un sujet trop précieux, sensible, personnel, culturel, sociétal, parfois même polémique pour qu’on le réduise à la question unique : « Souhaitez-vous allaiter ? ».

Des études « sociologiques » ont démontré que la façon d’accompagner cette réflexion pendant la période de la grossesse, informer de façon précise et objective les futurs parents, répondre à leurs questions, les laisser cheminer et les accompagner à leur rythme dans l’élaboration de leur choix modifie les comportements et influence grandement la réussite d’un allaitement adapté et choisi en toute conscience.

Actuellement, peu de femmes enceintes ont accès à ce type d’accompagnement prénatal autour de l’allaitement et les consultations interviennent le plus souvent en urgence, une fois le bébé né, lorsque la mise en place de la lactation ne se passe pas correctement, pour quelques mamans qui décident de persister/poursuivre malgré les difficultés rencontrées.


Dans le cas d’une naissance prématurée, il est très maladroit de poser la question de cette manière.

On ne peut pas demander à une maman, qui ne se sent pas encore maman, dont la principale préoccupation est de savoir si son bébé va pouvoir survivre les prochains jours si elle souhaite allaiter.

C’est un peu comme lui demander de quelle couleur elle a prévu de peindre la chambre… Beaucoup trop loin pour se projeter réellement.



Le lait de mère, un incontournable de la prise en charge du bébé prématuré


Cependant, il est irréfutable et de nombreuses fois démontré que le lait de mère, et plus particulièrement celui de SA mère, est indispensable dans la prise en charge d’un bébé né prématurément. Le lait maternel diminue les risques infectieux, particulièrement ceux digestifs graves (entérocolite), mais également les rétinopathies sévères, les ré-hospitalisations dans la première année de vie et surtout il permet un meilleur développement neurodéveloppemental sur le long terme.

La situation devient alors très souvent paradoxale car les soignants encouragent les mères « à choisir d’allaiter » sans forcément avoir les connaissances ou les compétences, le temps ou la patience d’accompagner réellement cette mise en place de la lactation, puis de l’allaitement lorsque l’enfant devient plus stable. Et il est très fréquent, une fois l’enfant capable de téter de façon efficace, que l’on encourage les parents à passer au biberon pour permettre une sortie plus précoce.


Il est donc très important de modifier ce discours habituel et automatique, d’être sincère sur nos intentions de soignants et surtout, d’être à l’écoute des mamans (mais aussi des papas) pour les accompagner de la façon la plus adaptée possible, et ce, tout au long de l’hospitalisation.

Il faut également leur laisser la possibilité de modifier leur choix, de l’adapter, rien n’étant jamais gravé dans le marbre.


Les mamans qui viennent d’accoucher prématurément ne doivent pas se demander si elle souhaite allaiter. Elles auront encore quelques semaines pour poursuivre leur réflexion, de la même manière qu’en étant enceinte.

Cependant, elles doivent assez rapidement se positionner quant au choix de recueillir leur lait pour le donner à leur bébé via la sonde d’alimentation.

Le lait de mère est essentiel pour la bonne prise en charge du bébé né prématurément et celui de SA mère est parfaitement adapté à la situation car il sera, de par la prématurité, nettement plus riche en protéines, en lipides, en calcium, vitamines, cuivre, zinc et immunoglobulines.

Il est vrai qu’il nécessite d’être enrichi mais non pas suite à une insuffisance de qualité du lait mais bien à cause des besoins importants des bébés nés prématurément.

Tout lait maternel est bon et adapté, du moment qu’il est recueilli, manipulé, stocké et transporté dans des conditions d’hygiène suffisantes et adaptées.



Recueillir son lait, une autre façon de trouver sa place de maman


Au-delà des bienfaits pour le bébé lui-même, le recueil de lait peut devenir une réelle bouée de sauvetage pour beaucoup de maman qui le sont devenues trop brusquement.

Difficile de trouver sa place, son rôle de mère au milieu des soignants qui semblent si bien maîtriser la situation et tous les gestes techniques auprès des bébés dans leurs couveuses. Pas évident de gagner confiance en soi, d’oser prendre des initiatives quand tout semble millimétré, prévu, protocolisé…


Le recueil de lait devient alors l’unique chose que SEULE la mère est en mesure de faire pour son bébé. Personne ne peut la remplacer dans cette fonction car c’est SON lait à elle qui conviendra pour le mieux pour SON bébé. On ne peut pas le faire à sa place.

Cependant, attention, il faut pouvoir l’accompagner correctement et l’encourager car cela peut devenir une source d’angoisse et de dévalorisation supplémentaire lorsque les précieuses gouttes de lait peinent à arriver.


Accompagner une maman de bébé prématuré dans la mise en place de sa lactation puis de son allaitement, c’est en priorité lui apporter les informations nécessaires pour lui permettre de comprendre le fonctionnement de sa glande mammaire et de sa production lactée.


C’est principalement grâce à cette compréhension que les autres conseils pourront être transmis puis appliqués de façon individualisée et adaptée afin de donner un maximum de chance à la réussite de la mise en place de la lactation.

- Choisir une taille adaptée de téterelles, un tire lait confortable, silencieux, pratique.

- Stimuler de façon physiologique, efficace, selon une durée et un rythme adapté.

- Adopter de bons réflexes et quelques astuces pour favoriser le processus et inversement, ne pas se laisser bloquer par des idées préconçues, erronées, qui mettent plus de bâtons dans les roues qu’elles ne soutiennent réellement.

- Observer, réévaluer la situation, réadapter les stratégies mises en place.

- Et toujours rassurer, revaloriser, réconforter et soutenir quelle que soit la décision maternelle.

Il n’y a que la maman pour ne pas être convaincue qu’elle fait du mieux qu’elle peut !



Se donner les moyens de poursuivre la lactation par un allaitement s’il est souhaité


Une fois cette lactation établie, il ne faut pas la croire acquise car l’hospitalisation d’un bébé prématuré est un véritable marathon, avec parfois des pauses nécessaires ou des retours en arrière, des moments de frayeurs mais aussi de grandes joies. Tout cela impactera la lactation et il faut y être vigilant pour éviter que la maman ne se décourage ou se sente encore plus fragilisée.

Tout au long de ce processus, la maman a progressivement pris le temps de rencontrer son bébé, d’apprendre à le connaître, de décrypter les signaux qu’il lui envoie. Cela est d’autant plus favorisé quand les soignants prennent le temps de transmettre les mécanismes de communication du bébé, ses besoins, ses compétences, son rythme de vie.


Le peau à peau devrait être inclus dans les prescriptions médicales du jour tant il a un rôle considérable dans le bon développement de l’enfant, l’amélioration de ses constantes et de sa croissance.

Il doit être le plus précoce possible et sans limite (en fonction bien évidemment des réactions de l’enfant et de sa stabilité).

Passer du recueil de lait à l’allaitement se fera parfois spontanément, lors d’un câlin, le bébé de lui-même se basculant d’un coup de tête vers le sein pour tenter de léchouiller le mamelon.


Une fois encore, il faudra rassurer les mamans et les accompagner si nécessaire lors des premières tétées plaisir ou « peau à sein » qui sont naturelles, inoffensives, très souvent précoces et qui permettront en douceur de montrer la voie vers un allaitement au sein.

Pas besoin de mettre des limites de terme avant de débuter !

Tout dépend également du nombre de semaines de vie de l’enfant, qui a eu le temps d’acquérir certaines compétences depuis sa naissance même si son terme est encore très précoce.

Ces petits coups de langue se transformeront progressivement au fil des jours en ouverture de bouche plus large puis en capacité d’attraper le mamelon et enfin de déglutir quelques gouttes de lait. La maman pourra donc prendre confiance en elle, en sa capacité d’allaiter, en celle de son bébé d’y parvenir sans aucune pression de quantité ou de prise de poids.


Le soignant, de son côté, pourra s’appuyer sur des grilles d’observation pour affiner l’évolution des capacités de l’enfant et de sa mère. La mise en place de l’allaitement n’est pas binaire (ça fonctionne / ça ne fonctionne pas). Elle résulte de l’acquisition progressive de différents facteurs que l’on peut observer individuellement et permettre d’évaluer l’évolution de façon beaucoup plus encourageante (et factuelle).

Pour ce faire, on utilise l’échelle de comportement du bébé prématuré au sein de Mr Nyqvist, la Preterm Infant Breastfeeding Behavior Scale (PIBBS) qui observe l’acquisition progressive de 6 critères : le fouissement (mouvement inné de recherche du sein), la prise du sein, le maintien du sein en bouche, l’existence de mouvements de succion, le nombre maximal de succion et la déglutition.

Cette échelle a été modélisée en « Fleur de lait » (diagramme toile d’araignée) par les équipes de St Etienne pour permettre une meilleure visualisation de l’évolution et elle aide de façon concrète beaucoup de mamans.

Ces dernières colorient le diagramme progressivement en fonction de l'évolution des différents items et l'allaitement est considéré comme efficace une fois la fleur de lait entièrement coloriée.


Le positionnement du soignant dans l’accompagnement à l’allaitement


Comme pour toutes premières mises au sein, et selon les besoins spécifiques de la maman, il est très important que le soignant se rende disponible pendant les premières tétées efficaces afin de réajuster la position, rassurer, verbaliser ce qu’il se passe, expliquer et ne pas laisser s’associer un sentiment d’angoisse à ce moment de partage mère-bébé.

Il est également extrêmement important de diffuser l’information suivante, autant auprès des parents que des soignant : un bébé prématuré est beaucoup plus stable au sein qu’au biberon. Sa saturation est meilleure, il se fatigue moins et présente moins de bradycardies. Et cela s’intensifie d’autant plus qu’on lui propose de téter en respectant son rythme et son éveil, dans des moments adaptés et non pas imposés par un horaire fixe.


Arrive alors la dernière période de l’hospitalisation, finalement, la plus longue pour les parents, épuisés par les nombreuses semaines passées et qui touchent du doigt une sortie sans vraiment y parvenir.

Certains auront la chance de poursuivre cette autonomie alimentaire progressivement, à domicile, avec un accompagnement spécifique.


Pour la majorité, comme nous l’avons mentionné au tout début de cet article, le biberon est très vite proposé pour remplacer le sein, permettre de donner des quantités de lait plus importantes, calculées et ainsi obtenir plus vite le poids nécessaire à la sortie autorisée. Quelques inconvénients viendront alors souvent s’y ajouter : rejets, reflux, ballonnements…(que l’on gèrera avec de plans inclinés et quelques traitements supplémentaires) si l’on n’adapte pas l’utilisation du biberon aux habitudes liées à l’allaitement au sein (fractionner plus les quantités et les repas, tenir le biberon à l’horizontal pour conserver un effort de succion et un contrôle du débit…)


On peut comprendre alors les parents un peu perdus, surtout les mamans qui se battaient depuis des mois pour maintenir une lactation.

A celles-ci, il faut conseiller de faire ce qui leur semble le plus adapté pour la sérénité de chacun mais de maintenir une lactation par stimulation en parallèle, afin de pouvoir réinstaller sans trop de difficultés un allaitement au sein, une fois rentrés tous ensemble à la maison.

Là encore, un accompagnement spécialisé et adapté au contexte est primordial.



Et lorsque ça ne se passe pas bien ou que la maman ne souhaite pas recueillir son lait ?


Certaines mamans ne pourront pas recueillir leur lait pour le donner à leur bébé.

Accompagnement inadapté, choix personnel, circonstances de naissance particulières impactant la santé maternelle, contre-indications (rares mais existantes), insuffisance de lait primaire (malformation, chirurgie…).

Beaucoup de raisons peuvent entraver et compliquer encore plus la mise en place de la lactation.

Il faut absolument déculpabiliser les mamans qui se retrouvent dans cette situation. Respecter leur choix et les soutenir avec beaucoup de bienveillance afin qu’elles ne trouvent pas une raison supplémentaire de se dévaloriser et de se sentir mal.

Grâce aux dons de lait et aux lactariums de France, les médecins ont accès à du lait maternel pour tous les bébés qui ne peuvent pas en bénéficier directement avec leurs mamans, au moins pour les premières semaines cruciales. C’est une prescription médicale, dont la prise en charge est totale.


D’autres mamans, s’accrochent, respectent les consignes qu’on leur a transmis, adaptent leur alimentation, leur sommeil, leur façon de recueillir leur lait, les différents conseils reçus mais rien n’y fait ou si peu malgré tous leurs efforts.

Certaines s’épuisent aussi sur la durée, après plusieurs mois de recueil toutes les 3 heures, ou ne supportent plus les contraintes par rapport aux bénéfices qu’elles estiment obtenir. Il faut leur laisser une porte de sortie tout en douceur. Rien n’est gravé dans le marbre…


Les soignants doivent donc rester à l’écoute des mamans et veiller à leur bien-être. Leur permettre de changer d’avis sans émettre de jugement et prendre le temps de les accompagner dans la démarche choisie même s’il s’agit d’un arrêt de recueil de lait.

Soutenir un allaitement, ce n’est pas être militant pour une cause, c’est être professionnel, objectif, en énonçant les avantages, les contraintes, les risques et les bénéfices et en respectant le choix final de la patiente qu’elle a pu faire de manière « éclairée », en toute liberté.



Allaiter, une aventure et un choix qui ne se limitent pas à un mode alimentaire


Une aventure lactée dans le cadre d’une naissance prématurée est donc une expérience de lactation (et éventuellement d’allaitement ensuite) à part.

Elle nécessite donc un accompagnement spécifique, qui évolue dans le temps et en nécessite pour qu’il soit de qualité.

Il doit être proposé par des professionnels formés et compétents en matière de lactation et d’allaitement maternel, qui doivent savoir prendre le temps, observer et rester à l’écoute des caractéristiques et des besoins spécifiques de chaque maman.


Le lait maternel reste essentiel pour le bon développement d’un nouveau-né, d’autant plus qu’il est né précocement et le cercle vertueux du peau à peau, proximité mère-bébé et mise au sein ne peut que favoriser l’allaitement par la suite.


Parallèlement, c’est un soutien non négligeable dans l’accès à la parentalité et à l’élaboration de son rôle de mère ainsi qu’à la création du lien avec son bébé pour une maman de bébé préma, lorsque l’accompagnement est de qualité et individualisé.



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